L’Amérique, terre d’asile pour les artistes

Le Museum of Modern Art

Les États-Unis d’Amérique traversent à la fin des années 1920 une crise sans précédent. De fait, en raison du krach boursier de 1929, le marché s’effondre, entraînant dans son sillage une vague de chômage et de pauvreté. Or, la même année, le Museum of Modern Art (MoMA) ouvre ses portes. 

Il incarne une nouvelle voie du monde de l’art, qui se veut plus libre, progressiste tout en s’affranchissant des conventions établies. En parallèle, le président Roosvelt met en place des réformes économiques et sociales pour lutter contre la Grande Dépression. L’Amérique s’apprête à devenir une terre d’accueil pour de nombreux artistes étrangers.

L’exposition « Cubisme et art abstrait »

En 1936, le MoMA accueille l’exposition Cubism and modern art. On note que les peintres ne s’attachent plus à rendre les détails du réel, mais bien de laisser libre cours à leur imagination. On expérimente les formes géométriques, on étale la matière sur de grands formats, on réinvente les silhouettes humaines… Les bases de l’expressionnisme abstrait sont ainsi posées.

Toujours en 1936, la société des American Abstract Artists (AAA) se monte. Ses membres multiplient les publications et les conférences pour faire connaître l’art abstrait américain. Cependant, ils se confrontent régulièrement à l’incompréhension du public face à ce mouvement. 

L’École de New York

 De l’autre côté du globe, l’Europe souffre des oppressions liées aux régimes totalitaires de l’Italie et de l’Allemagne. La Seconde Guerre Mondiale entraîne pléthore de créateurs européens, en particulier des surréalistes, à se réfugier aux États-Unis.

Le milieu de l’art new-yorkais, aussi appelé l’École de New York, prend une certaine ampleur. Les influences et les visions avant-gardistes des artistes de l’Est apportent de nouveaux gestes à expérimenter, notamment dans la peinture. C’est ainsi que le mouvement de l’expressionnisme abstrait américain émane de plusieurs plasticiens aux origines diverses, comme Hans Hofmann, Clement Greenberg ou Willem de Kooning. 

Une nouvelle forme d’expression made in USA

Quelques principes généraux du phénomène artistique

Le courant de l’expressionnisme abstrait est reconnaissable par : 

  • de très grandes toiles ;
  • un recouvrement complet du support, aussi appelé technique de l’all-over ;
  • une liberté d’expression totale du peintre.

      

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Auteur : Jeremy Yoder

Source de l’image : https://www.flickr.com/photos/profzucker/23825058043/in/photostream/

 

Même si certains artistes de l’expressionnisme abstrait rejettent les apparences humaines, Willem de Kooning la réinvente à sa manière. Il réalise ainsi six œuvres Woman

Woman I est une huile sur toile, créée entre 1950 et 1952. Elle mesure 192,7 X 147,3 cm et est conservée au MoMA. Le peintre reprend les trois caractéristiques citées plus haut et nous offre sa représentation de l’archétype féminin. On perçoit la férocité des coups de pinceau et la générosité de l’aplat de la matière. Les lignes, les boucles ou les stries désignent le panel de formes travaillées par l’auteur. Les couches de couleur s’accumulent, façonnant ainsi un personnage à la fois vibrant et inquiétant.  

La puissance de l’Action Painting

L’expressionnisme abstrait peut également se déterminer par l’Action Painting. Les artistes sont en totale liberté d’expression, dans le sens où ils se débarrassent complètement du dogme de concevoir une œuvre pour correspondre à un élément figuratif. La peinture d’action se veut rapide, spontanée et vigoureuse.

Ce qui transparait dans ces œuvres, ce sont les émotions qui traversent le plasticien pendant son processus de création. La technique du dripping, inventée par Janet Sobel et popularisée par Jackson Pollock, permet d’exprimer le ressenti de la personne. Elle consiste à tremper son pinceau dans la peinture, à la faire couler sur le support ou bien à la projeter sur la toile. Ainsi, l’auteur raconte une histoire et ses outils de peintre sont ses médiums.

Jetez un coup d’œil à Milky Way de Janet Sobel en cliquant ici !  

La méditation apportée par le Color Field

À l’inverse de la nervosité de l’Action Painting, l’approche du Color Field est bien plus calme et modérée. Elle se caractérise par des champs de couleur unie, réalisés en fine couche et aux bords souples. Mark Rothko s’illustre avec plusieurs œuvres, notamment Orange, Red and Yellow.  

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Auteur : Ross Day

Source de l’image : https://www.flickr.com/photos/sixesandsevens/7000580120

Peinte en 1961, cette toile de 236,2 X 206,4 cm est une ode aux nuances chaudes. On se laisse emporter par son gigantisme et sa palette orangée, vive, rappelant les teintes du soleil et, par extension, le feu, la vie. En 2012, les enchères Christie’s mettent en vente cette œuvre importante de l’expressionnisme abstrait.  L’offre se clôt sur une transaction de 86 882 500 dollars, soit un peu plus de 80 millions d’euros.  

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L’expressionnisme abstrait dans un contexte d’après-guerre

Une difficile reconnaissance générale des expressionnistes abstraits

Le mouvement des expressionnistes abstraits fait rayonner l’Amérique, si bien que le foyer de l’art moderne déménage de Paris à New York. Pourtant, même si certains artistes présentent de bons retours, l’opinion publique reste mitigée. Par exemple, Jackson Pollock ne dépasse jamais les 10 000 dollars pour la vente d’un de ses tableaux.

Cependant, l’élite intellectuelle soutient les créateurs. Les actions menées par des galeristes, comme Peggy Guggenheim, ou par des fondations privées, telle celle de Rockfeller, permettent d’accompagner le courant de l’expressionnisme abstrait. Il incarne, pour ces défenseurs de la culture, le symbole de la liberté.

La CIA impliquée dans l’expansion du courant artistique

Dans les années suivant la fin du second conflit mondial, la Guerre Froide entraîne un climat de méfiance extrême entre les États-Unis et l’Union Soviétique. De plus, au sein même du gouvernement américain, les suspicions s’accélèrent avec l’ère du maccarthysme. De fait, ses adhérents politiques soupçonnent des personnalités, notamment des acteurs de l’expressionnisme abstrait, de partager des idées communistes.

Par ailleurs, les valeurs puissantes de liberté et de créativité que porte ce courant ne passent pas à côté de l’œil de la CIA. C’est pourquoi l’Agence met sur pied une habile récupération des peintres, à leur insu. Le mouvement artistique va donc devenir la locomotive pour la propagande étasunienne.

Les raisons de cette opération

Tom Braden, ancien agent de la CIA, dirige les opérations. Pour lui, l’Agence voit dans le mouvement de l’expressionnisme abstrait une chance pour promouvoir la culture américaine dans le monde. Cependant, elle redoute la défiance des hommes politiques conservateurs face au courant esthétique, mais aussi celle des artistes.

En effet, la plupart désapprouvent les méthodes fallacieuses de la CIA. Or, elle parvient, grâce à ses agents infiltrés dans de nombreux réseaux, à acheter des tableaux d’expressionnistes abstraits. À titre d’illustration, certaines acquisitions constituent l’importante exposition The New Americain Painting. Mise en place en 1958, elle fait le tour des musées européens. Le talent culturel américain ainsi exporté, la CIA s’assure de brandir le drapeau de la liberté d’expression, devant la rigidité du bloc soviétique.

 

Malgré tout, l’expressionnisme abstrait reste un phénomène majeur de l’histoire de l’art moderne. Ces peintres sont reconnus pour l’intensivité de leurs productions et pour les réflexions poussées qui accompagnent leurs créations. Le mouvement a influencé et continue d’inspirer de nombreux artistes à travers le monde. Tali est l’un d’entre eux et propose, dans sa boutique, de découvrir la richesse de ses œuvres en édition limitée.

Auteur : Elvira MADERISAS